La motivation en tennis : gagner ou être heureux ?

La motivation en tennis : gagner ou être heureux ?

0 Par Morrisfaitdutennis

À quoi tient la grandeur d’un joueur de tennis ? À ses trophées, ses records, ou à son sourire en sortant du court ? La question paraît simple, mais elle est au cœur d’une profonde crise identitaire du sport moderne. La motivation – ce feu intérieur qui pousse à se lever, s’entraîner, se battre, perdre, recommencer – n’est pas la même pour tous. Et elle façonne des carrières, des légendes, des drames. Elle fait éclore des champions, mais aussi des blessures invisibles.

Aujourd’hui, deux figures cristallisent cette interrogation essentielle : Carlos Alcaraz et Novak Djokovic. L’un incarne le plaisir, le jeu, l’instant ; l’autre, l’obsession, la discipline, l’histoire. Entre eux, un océan de nuances, un débat vital.

Djokovic : le culte du record comme carburant

Il est sans doute le plus fascinant exemple de motivation par les objectifs chiffrés. Novak Djokovic, 24 titres du Grand Chelem, tous les records du jeu masculin, continue à 37 ans, alors que son corps le lâche, qu’il a perdu 4 fois au premier tour sur les 5 derniers tournois. Mais il croit encore. Il rêve d’un 25e Majeur, pour dépasser Margaret Court et devenir le recordman absolu, hommes et femmes confondus.

Sa discipline est hors norme. Il ne boit pas, ne mange pas de gluten, médite, étudie tout. Tout est millimétré, au service d’un but. Cela a longtemps laissé penser que la motivation suprême, c’est la victoire. Qu’il faut souffrir, s’oublier, s’imposer pour être grand. Qu’il faut, comme Jannik Sinner aujourd’hui, voir la pression comme un privilège.

Mais cela suffit-il à nourrir une vie ?

Alcaraz : jouer pour le frisson

À l’opposé, Carlos Alcaraz, 21 ans, bouleverse les codes. Il joue pour le plaisir, le bonheur d’être sur un court. Il veut ressentir des frissons, comme un enfant qui tape dans une balle. Dans un documentaire Netflix récemment sorti, son coach Juan Carlos Ferrero pointe des choix discutables : soirées tardives, manque de rigueur, peu compatible avec une ambition de dominer l’histoire. Les critiques pleuvent : « On ne gagne pas un Grand Chelem en se couchant à 7h du matin ».

Mais Alcaraz persiste : il ne veut pas sacrifier sa vie pour la légende. Il refuse de devenir un robot. Il questionne : faut-il viser la place de meilleur joueur de l’histoire, ou chercher à être une personne épanouie ? Pour lui, “être heureux est plus important que gagner un Grand Chelem”, reprenant les mots de Rafael Nadal, son idole.

Nadal et Federer : la motivation évolue

Nadal et Federer, justement, ont arrêté quand ils ne se sentaient plus compétitifs. Pas parce qu’ils n’aimaient plus jouer, mais parce qu’ils ne pouvaient plus se battre au plus haut niveau, ce qui était leur moteur.
• Federer, lui, jouait pour le plaisir d’affronter les jeunes, de transmettre, de ressentir encore le jeu.
• Nadal, de son côté, jouait pour être meilleur que la veille. Son combat n’a jamais été contre les autres, mais contre lui-même.

Ils ont réussi à réconcilier performance et sens. Mais tous ne trouvent pas cet équilibre.

Le revers sombre du haut niveau

On glorifie souvent le sommet de la pyramide. Les projecteurs, les trophées, les millions, la célébrité. Mais ce qu’on voit moins, c’est ce que cela coûte d’y rester. Le haut niveau, ce n’est pas seulement une histoire de sacrifices. C’est une zone de tension permanente, un état de pression chronique, parfois si intense qu’il finit par briser ceux qui n’étaient venus là que pour taper dans une balle.

La génération actuelle ose en parler. Mardy Fish, pionnier malgré lui, a ouvert une brèche avec son documentaire Netflix. En 2012, il abandonne avant son match contre Federer à l’US Open : attaques de panique, anxiété paralysante. Il ne voulait pas mourir sur un court de tennis. Son aveu a libéré une parole trop longtemps contenue.

Depuis, les langues se délient :
• Naomi Osaka, en larmes à Roland-Garros, explique qu’elle ne supporte plus de devoir se justifier, de se forcer à sourire, de jouer un rôle.
• Andrey Rublev frappe sa raquette jusqu’au sang, non pas par colère, mais parce qu’il n’arrive plus à se contenir émotionnellement.
• Dominic Thiem, après sa victoire à l’US Open, sombre dans une forme de vide existentiel : il n’avait plus rien à prouver… et plus aucune raison de jouer.
• Même Carlos Alcaraz a confié récemment que la pression l’a « tué », lui qui est censé être l’héritier joyeux et insouciant du Big 3.

Et puis il y a le cas Gaston Gaudio. Vainqueur surprise de Roland-Garros 2004, il déclare avoir pensé au suicide, littéralement, le soir même de son triomphe. Il s’est senti vide. Deux ans plus tard, la dépression revient, plus sournoise, plus ancrée. Il confiera plus tard que ce trophée ne l’a jamais rendu heureux. Pire : il l’a enfermé dans une image à laquelle il ne pouvait pas coller.

Caroline Garcia, elle aussi, a osé poser la question taboue : « Et si l’image de soi ne devait plus dépendre des résultats ? »
Une tentative courageuse de redéfinir la compétition, de poser des bases plus saines, plus humaines. Mais le monde du haut niveau est féroce, implacable. Elle sort du top 100. Son corps a vacillé, son mental aussi.
Est-ce un échec ? Ou une victoire silencieuse ? Là encore, tout dépend du regard qu’on porte sur la réussite.

Et pourtant, ce mal-être n’est pas une découverte du XXIe siècle. En 1983 déjà, Yannick Noah posait la question crue mais essentielle : « À quoi ça sert, un champion ? » Il pressentait le gouffre : celui d’un sportif qui court sans fin après un idéal, mais qui oublie de vivre. Il a continué cette réflexion dans les années qui ont suivi, ajoutant : « Je ne veux pas être un champion si c’est pour ne pas être un homme. »

La vérité, c’est que les joueurs perdent plus qu’ils ne gagnent. S’ils fondent leur estime d’eux-mêmes uniquement sur la réussite, ils sont condamnés à être malheureux la plupart du temps. En tournoi, un seul gagne. Tous les autres perdent. Et ça recommence la semaine suivante. Et encore. Et encore. C’est une machine qui n’a pas de fin.

Le constat est amer. Mais il est partagé, même par ceux qu’on pensait épargnés.

Marcos Baghdatis, toujours sincère, disait un jour :

« Tous les joueurs sont malheureux. »
Un journaliste lui rétorque : « Sauf Federer et Nadal, non ? »
Et Baghdatis de répondre :
« Bien sûr. Ce sont les seuls à gagner en continu depuis vingt ans ! Moi aussi je serais heureux si je gagnais tout ! »

Mais même cette affirmation mérite d’être questionnée. Est-ce parce qu’ils gagnent que Federer et Nadal étaient si épanouis, ou est-ce parce qu’ils puisaient leur motivation ailleurs que dans la victoire qu’ils parvenaient à gagner ? Leur constance, leur longévité, leur paix intérieure ne venaient-elles pas d’une motivation plus profonde, plus stable, moins exposée aux caprices des résultats ?

C’est ici que le débat rejoint Carlos Alcaraz : doit-il chercher le bonheur à travers le jeu lui-même, ou le différer dans un objectif futur hypothétique – le record, la légende, l’Histoire – au risque de se perdre lui-même en chemin ?

Le haut niveau, à ce stade de réflexion, dévoile enfin son vrai visage. Derrière les sourires des conférences de presse, derrière les photos avec les trophées, il y a des chambres d’hôtel froides, des réveils sans envie, des douleurs physiques mais surtout psychiques. Il y a la solitude, les doutes, les blessures de l’ego. Il y a la pression d’être ce que le monde attend de toi. Federer lui-même disait à son apogée :

« J’ai créé un monstre : un joueur obligé de gagner. »
Il ne parlait pas de son adversaire. Il parlait de lui-même.

On pourrait croire que l’on devient champion malgré ces tourments. Mais peut-être, justement, devient-on un vrai champion quand on apprend à vivre avec, sans se briser. Quand on comprend que la plus belle victoire, ce n’est pas Wimbledon ou Roland, mais de continuer à jouer avec l’envie, avec le sourire, malgré tout.

Et cela, Djokovic l’a compris à sa manière. Federer aussi. Nadal surtout. Alcaraz, lui, cherche encore. Et peut-être qu’en cherchant, il est déjà sur le bon chemin.

Résilience et longévité : d’autres types de motivation

Tous ne jouent pas pour les records. Certains jouent pour durer, pour le combat, pour l’amour du jeu pur, même quand les projecteurs se sont éloignés.

Stan Wawrinka, 39 ans, est encore là. L’ancien vainqueur de trois Grands Chelems, qui a battu Djokovic en finale à Roland-Garros, continue à arpenter les courts malgré les douleurs, les opérations, les tournois où il sort au premier tour. Pourquoi ? Parce qu’il aime ça. Parce que l’identité qu’il s’est construite autour du tennis ne dépend pas du classement ou du prestige. Il dit souvent qu’il sait que le niveau n’est plus le même, mais que l’envie, elle, est intacte.

Andy Murray est dans le même état d’esprit. Triple vainqueur en Grand Chelem, ex-numéro 1 mondial, on l’a vu revenir avec une hanche en métal, au prix d’un combat que beaucoup jugeaient insensé. Il continue à jouer, malgré les défaites, parce qu’il refuse que la blessure décide de la fin de son histoire.

Monfils et Gasquet incarnent cette longévité singulière, hors des standards du Big 3, mais non moins admirable. Tous deux ont traversé deux décennies de carrière sans jamais remporter de Grand Chelem, ce qui leur a valu de nombreuses critiques. À Monfils, on reproche souvent de “jouer à l’envers”, de s’entêter dans un jeu défensif spectaculaire, alors qu’il possède un potentiel physique immense, capable de rivaliser avec les plus grands. À Gasquet, c’est son “talent gâché” que l’on pointe : ses détracteurs estiment qu’il aurait dû remporter des Majeurs, voire être numéro 1 mondial, s’il avait eu davantage de mental ou d’ambition.

Mais les deux hommes ont toujours répondu par leur constance, leur honnêteté et leur amour du jeu. Gasquet, en annonçant sa retraite début 2025, a affirmé n’avoir aucun regret : il a suivi son chemin, s’est construit une carrière dense, riche, sans tricher avec lui-même. Il aurait volontiers continué s’il avait encore eu l’énergie physique pour affronter les voyages, les entraînements et le circuit. Son départ n’est pas un abandon, mais une fin logique, assumée.

Monfils, lui, rayonne encore sur les courts à 38 ans, toujours capable de coups venus d’ailleurs. Son sourire communicatif, son amour pour l’échange, pour la foule, pour le pur frisson de la compétition, sont devenus des signatures. Il entend les critiques, mais il les laisse glisser : il joue à sa manière, pour le plaisir, sans renier qui il est. C’est ce qui le fait durer.

En refusant de se conformer aux attentes extérieures, ces deux joueurs illustrent une autre voie, une autre forme de succès : celle d’une carrière libre, assumée, vécue avec intensité et passion, même sans la gloire des titres majeurs. Une forme de motivation plus rare, mais tout aussi inspirante.

Ces joueurs nous rappellent une chose précieuse : gagner n’est pas la seule motivation valable. Certains veulent marquer l’histoire. D’autres veulent simplement la vivre jusqu’au bout, avec honnêteté, passion et constance. C’est une autre forme de grandeur. Peut-être la plus humaine.

Alors, que doit faire Alcaraz ?

Je vous pose la question. Vraiment. Parce qu’elle me bouleverse, parce qu’elle nous concerne tous, à notre manière. J’en ai des frissons.

Doit-il changer d’approche, comme son coach le lui suggère ? Abandonner cette légèreté naturelle, ce plaisir brut du jeu, pour entrer dans une discipline implacable, millimétrée, à la Djokovic ? Se coucher tôt, refuser une sortie, vivre chaque seconde en fonction d’un unique objectif : devenir le plus grand de l’histoire ?
Mais à quel prix ? Celui d’une blessure, d’un burn-out, de la perte de son identité sur le terrain ? De devenir un joueur lisse, moins spectaculaire, peut-être plus performant, mais moins lui-même ?

Ou doit-il, au contraire, continuer à tracer son propre chemin ? Prendre le risque de ne pas tout gagner, de laisser filer quelques occasions, mais rester en accord avec lui-même ? Oui, mais aussi au prix de défaites cruelles, de passer à côté de son potentiel immense, de se blesser plus facilement faute de discipline, de raccourcir sa carrière, et peut-être un jour… d’avoir des regrets.
Des regrets de ne pas avoir tout donné. Ou au contraire, des regrets d’avoir trop donné, mais pas dans la bonne direction.

Et vous, que feriez-vous ? Quelle voix écouteriez-vous ?
Celle du palmarès ou celle du cœur ?

La vérité, c’est qu’il n’y a pas de bonne réponse. Mais il y a une certitude : la pire chose serait d’échouer en suivant une voie qui n’était pas la sienne.

Conclusion : quelle est votre motivation ?

La motivation est un moteur personnel, intime, unique.
Certains courent après des titres, d’autres après des sensations. Certains veulent dominer le monde, d’autres veulent simplement ressentir le monde. Il n’y a pas de bonne réponse universelle.

Mais il y a une vérité : si votre motivation dépend uniquement des résultats, vous serez souvent malheureux. Parce que le tennis, comme la vie, est fait de défaites plus que de victoires. La réussite n’est pas une ligne droite, et même ceux qui gagnent tout finissent par perdre un jour.

Alors, faut-il être prêt à tout sacrifier pour gagner ? Être discipliné jusqu’à s’oublier ? Ou, au contraire, faut-il d’abord chercher à être heureux, quitte à perdre parfois en route ?
La réponse n’est pas simple. Car le travail identitaire et la recherche du bonheur sont exigeants. Inconfortables. On croit parfois qu’il faut choisir : être heureux ou être gagnant. Mais sont-ils vraiment opposés ? Ne sont-ils pas, au contraire, parfois liés ?

On a tendance à croire que c’est la souffrance qui pousse les plus grands à se dépasser. Que ceux qui ont faim, vraiment faim, réussissent. Et que ceux qui sont trop protégés, trop choyés – comme c’est parfois le cas dans les grandes fédérations – finissent par échouer, faute de feu intérieur.
Mais est-ce vraiment aussi simple ?

Et vous, lecteur : qu’en pensez-vous ?
Croyez-vous qu’on ne devient champion qu’en souffrant ? Qu’en se coupant de tout ? Ou bien pensez-vous, comme certains psychologues du sport, qu’il y a un ordre naturel des choses : c’est en étant heureux qu’on atteint son meilleur potentiel. Pas l’inverse.

Voilà pourquoi il est si important de cultiver d’abord ce lien à soi. Cette joie profonde. Ce plaisir de jouer. Car sans cela, même une victoire peut laisser un goût amer. Et parfois, dans de rares cas, l’athlète découvre qu’il est plus heureux loin de la compétition.

Mais l’admettre… n’est-ce pas là, au fond, la plus belle des victoires ?

Alors, dites-moi…

Et vous, vous jouez pour quoi ?

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